Lancé à la poursuite d’un dangereux hors-la-loi, Brad Carpett, Lucky Luke participe à un rodéo au cours duquel Jolly Jumper rencontre une irrésistible jument, Province, venue du Québec. L'amour pointe son museau et tout est détraqué : Lucky Luke laisse lamentablement filer son bandit tandis que Jolly Jumper, éperdument amoureux, n'est plus que l'ombre de lui-même. Il faut réagir. L'homme qui tire plus vite que son ombre décide donc d'emmener son cheval déprimé au Canada, à la recherche de sa Belle Province. Rantanplan û toujours aussi bête, rassurez-vous û est de la partie. Aussitôt passée la frontière, Lucky Luke découvre un peuple aux drôles de mœurs qui se nourrit de frites aux grains de fromage, écoute d'affreuses chanteuses hurleuses et, surtout, parle un drôle de langage. Il n'y a bien que les bagarres de «~salon~» (le nom des «~saloons~» là-bas) qui ne dépaysent pas trop nos trois héros. Luke tombe aussi sur un étrange trafic dans la ville de Contrecoeur où il a fait halte. Un certain Mac Habann, banquier louche, richissime et mégalomane s'est juré de s'offrir toute la contrée. Ni un infatigable marchand de chemises blanches amidonnées un peu philosophe sur les bords, Bernard Henry Levystrauss, ni un prêtre compassé déterminé à évangéliser les tribus de Hurons et de Mohawks, ni même une pluie incessante de tartes au sirop d'érable ne parviendront à freiner le combat de notre cow boy solitaire pour rétablir l'ordre et la justice. Pour qu'il puisse à nouveau repartir au crépuscule en fredonnant son refrain préféré. Quelque peu modifié !
La Belle Province est la 72e histoire publiée dans la longue saga de Lucky Luke. Une de plus, songez-vous. Loin de là. Car si la première planche se présente comme la surprenante réintroduction d'un personnage û l'un des plus célèbres et populaires de la bande dessinée franco-belge û qu'on ne présente plus, c'est bien parce qu'on y assiste tout bonnement à sa renaissance. La Belle Province est le premier long récit à paraître depuis la disparition du créateur de la série, Morris. Le premier donc qui ne soit pas dessiné par Morris, mais par le très talentueux Achdé ! Le premier aussi dont les textes sont signés d'un illustre novice en matière de scénarios, l'humoriste Laurent Gerra. Est-ce parce que tous deux sont des mordus de la série depuis leur plus tendre enfance qu'ils en ont réveillé l'esprit et le punch de ses meilleures années ? Sans doute. Les regrettés Morris et René Goscinny ont peut-être, en signe d'approbation, guidé leurs plumes, leurs pensées, leur imagination. Avec un texte de Gerra aussi fourni en gags et en rebondissements que le trait d'Achdé est précis et enlevé, on croit rêver. Lucky Luke a retrouvé toute sa verve d'antan, l'époque où Phil Defer, Billy The Kid, Jesse James et tant d'autres pittoresques filous lui donnaient du fil à retordre, aiguisaient son sens de l'à-propos et de la répartie. Au cours d'une de ces savoureusement insidieuses leçons d'histoire comme Goscinny en avait le secret (ici, une tendre introduction au Québec), Achdé et Gerra remettent Lucky Luke au cœur de l'action. Morris, le génial créateur de la série, n'est plus, mais comme il l’a voulu, Lucky Luke continue pourtant à chevaucher les plaines.